par Charlie-Camille Flores


Deux raisons principales justifient une participation d’un bibliothécaire « à un congrès » comme celui de l’IFLA et y définissent son propre engagement. D’un : y rencontrer ce qui y est proposé. De deux : y rencontrer ceux de qui il est composé. À ce sujet, le vocabulaire hésite : parfois, nous y sommes intégrés au titre de la communauté – les collègues, parfois, au titre de la sociabilité la plus intime – la famille.

C’est depuis la gouvernance la plus formelle que la notion de la famille est exprimée : la présidence de l’IFLA se donne ainsi la mission d’embrasser l’expérience du congrès, c’est-à-dire de se nourrir d’un ensemble de discours, de partages, d’expériences, de mots mais surtout de faire des rencontres marquantes et marquées.

Cette utilisation « familière » de la « famille » se pense comme une appartenance à une communauté professionnelle objective – être une bibliothécaire – autant qu’un ensemble de pratiques et valeurs collectives – l’ethos de la bibliothécaire. Elle marque, par là-même, un attachement affectif qui va justement au-delà de la profession. Elle est cette « fiction bien fondée » dont parle Pierre Bourdieu dans La Famille comme catégorie réalisée.

Serions-nous alors, nous, les bibliothécaires, une famille ? Sommes-nous reliés par un lien de sang, duquel découlent à la fois une répartition des rôles mais aussi le socle de la reproduction ? La famille comme lieu d’apprentissage mais aussi de pouvoir est elle un concept qui épouserait cette profession – ou ses représentants les plus institutionnellement militants – et pousserait quelques milliers d’individus à se déplacer aveuglément comme l’on se rend à un repas de famille ?

Cet usage excessif du champ lexical de la famille m’évoque quelques réflexions :

  1. Faire famille permet de naturaliser et dépasser les relations professionnelles en puissance pendant le congrès. Elle justifie également l’appui marqué à l’apprentissage (les événements collectifs du groupe New Professionnals, l’énergique soutien du CFIBD dans l’accompagnement des first timers…) et, plus globalement, la catégorisation des professionnels dans un espace social.
  2. Faire famille ambitionne d’égaliser les relations professionnelles, d’essayer de rayer les discriminations attendues dans tout collectif.
  3. Faire famille laisse espérer que ce qui nous éloigne collectivement est plus faible que ce qui nous réunit.

Cette dernière assertion est, selon moi, la plus importante car irrésoluble. La famille des bibliothèques réunit de par le monde une multitude de pratiques, professions et paradigmes latents. C’est parce que nous sommes en famille que nous pouvons, avec force, soutenir que les bibliothèques sont des lieux d’apprentissage, de liberté et de démocratie sans avoir à traduire ce que ces mots peuvent recouvrir dans leurs contextes culturels particuliers. La famille, le parfum d’ambiance qui se diffuse dans les grandes paroles, permet de diffuser le consensus culturel qui fonde notre communauté professionnelle.

Au sortir de ce congrès, une question me taraude : à quelle branche de la famille s’attache la communauté des bibliothécaires françaises ? Est-ce une famille germaine ou parallèle tant les codes comme les sujets m’y semblent différents ?


Charlie-Camille Flores est directeur de la bibliothèque de l’Alcazar (Ville de Marseille). Il est investi dans l’Association des bibliothécaires de France comme responsable de la commission Livr’Exil et trésorier du comité PACA.